Retour sur l’exposition collective « Erosion »
Parcourt Résonance 16e biennale d’art contemporain de Lyon (2022)
Qu’est-ce que le thème (« Manifesto of fragility ») t’inspire ? Pourquoi « l’Érosion », comme nom d’exposition ?
Pour ma part, le thème « Manisfesto of fragility » m’évoque tout ce qui est en rapport avec la condition d’artiste et la précarité des divers métiers du monde artistique. Que ce soit toutes les personnes qui travaillent autour des expositions ou celles qui réalisent les œuvres. Les conditions de réalisations notamment matérielle et financière, mais aussi humaine. Ce que je trouve intéressant dans l’alcôve, c’est que nous sommes un collectif et donc ça ajoute à la fragilité, particulièrement dans les enjeux qui se créent entre chaque personne.
Ce qui m’intéressait dans le thème de la biennale de cette année, c’était le rapport au temps. Temps qui crée toute (ou presque) la fragilité que l’on peut trouver dans la ville. À travers ma réflexion, je voulais parler de l’impact qu’a le temps sur la ville et ses constructions, mais également le fait que l’on laisse la ville à l’abandon ; d’où le terme « Érosion ».
En quelques mots, peux-tu nous décrire comment tu as choisi de représenter le thème de l’érosion ?
Pour ma part, j’ai décidé de mettre en avant les ressources du vivant. On sait depuis les années 70 que la nature, la faune et la flore est en train de disparaître petit à petit. J’ai donc réalisé trois tableaux. Dans le premier, j’ai voulu parler du blanchiment du corail ; dans le second, j’ai souhaité dénoncer la disparition des mammifères et dans le troisième l’extinction des insectes.
J’ai abordé le thème de la fragilité comme la description d’un état non-visible, l’enveloppe extérieure n’est pas altérée, mais l’intérieur est érodé, voire meurtri par l’action du temps. Cette fragilité, due à l’érosion, peut être aussi bien une manifestation physique qu’émotionnelle.
Pour ma part, j’ai traité le thème de l’érosion en questionnant notre rapport au temps ; à la fragilité de nos vies. Pour ça, j’ai travaillé sur la catastrophe de Tchernobyl qui est un moment hyper important dans notre histoire contemporaine. Un moment où l’on a pris conscience de notre fragilité en tant qu’être humain face aux technologies. Du coup, pour travailler sur le thème de l’érosion, j’ai réalisé quatre illustrations qui ont pour sujet principal le bâtiment du Palais de la culture à Pyriat dont je me sers comme une sorte de témoin silencieux qui permet d’illustrer un triptyque temporel. À savoir : avant, pendant et après. Le thème de l’érosion, pour moi, c’est à la fois une manière de questionner notre fragilité et un certain renouveau en quelques sortes.
J’ai choisi d’aborder l’érosion sous une forme temporelle, c’est-à-dire en m’axant sur le temps qu’il reste aux choses qui nous entourent. Pour illustrer cet écoulement du temps, je me suis (basée) sur l’expression « ça ne tient qu’à un fil » qui est donc ma source d’inspiration pour créer mes œuvres. Elle m’a amené à choisir un fil de coton comme outil de création pour m’exprimer sur la fragilité qui est le thème de la biennale de cette année.
De mon côté, j’ai choisi de parler de l’érosion à travers la matière du papier essentiellement. Il s’agit aussi du temps qui passe (le temps de le faire aussi). Je pars de papiers très fragiles, très délicats, très transparents avec des jeux d’ombre et de lumière que je vais coller. Et petit à petit, je vais l’altérer, le modifier, le transformer en découpant, en collant, en rajoutant, pour faire évoluer cette matière, ce papier. Pour l’exposition « érosion » j’ai choisi de représenter ce travail-là sous la forme d’un grand rouleau qui sera suspendu, comme hors du temps effleurant le sol. Pour vraiment mettre en avant le temps qui se déroule et comment on creuse dans la matière, on superpose toutes les strates qui se rapportent aussi aux strates des couches terrestres.
Au travers quel médium as-tu choisi de travailler ce thème ?
J’ai travaillé d’après deux photos. Il y a une photo qui date de 1976 donc 10 ans avant la catastrophe de Tchernobyl et une autre qui date de 2016 donc 40 ans après. À partir de ces deux photos j’ai extrapolé une série de quatre illustrations qui forment un triptyque : avant, pendant, après. J’ai beaucoup travaillé sur tablette graphique, notamment parce que je voulais faire un rendu en risographie, qui est un processus qui s’apparente à peu près à de la sérigraphie mécanisée. Qui a un rendu un peu nébuleux, un peu vaporeux et puis un peu mécanique qui fait penser justement aux années 80. Je trouvais que ce rendu était intéressant pour parler d’érosion puisque l’impression n’est pas forcément parfaite ni similaire sur tous les tirages.
J’ai décidé de travailler avec des toiles de boulanger qui ont plus d’un demi-siècle et déchirée par l’usure. Ces toiles sont utilisée pour permettre aux pains de se développer sans qu’ils ne se touchent les uns, les autres en un mot, le pain est coconné ! Je reprends également l’idée de l’art japonais, le Kintsuki qui consiste à réparer des céramiques cassées avec de la poudre d’or. Je répare donc ces toiles avec des cordes de piano plaquées, or. Ces réparations, qui rendent ces toiles plus précieuses met en évidence les épreuves subies dès la naissance. J’ai voulu faire un parallèle entre le pain et le nourrisson. Les deux représentent la vie, cette idée m’est venue en entendant l’histoire d’un ami dont la fille est touchée par une maladie neurologique rare. Et comme les pains, quelques fois, les nourrissons ne se développent pas ou différemment.
J’ai décidé d’utiliser le papier. Pour la première œuvre que j’ai appelé Belize ; Belize qui est un pays en Amérique Centrale où il y a une grande période de corail. Donc, pour celui-ci, j’ai décidé de faire des strates de papier dans lesquelles je vais mettre du corail. Au fur et à mesure de mes strates en fait, le corail va blanchir. Sur le papier, je travaille essentiellement avec le scalpel, je découpe et crée des fines dentelles de papier qui forcément le rendent plus fragile. Dentelles que vous retrouverez plus dans mon deuxième tableau qui sera un mammifère, plus je travaille mon papier plus, il se fragilise au point de casser.