La P’tite Interview de Barbara Lerch

Retour sur l’exposition de Barbara Lerch,

Automnes en Hiver

 

  • “Automnes en Hiver”, pourquoi ce nom d’exposition ?

Pour cette exposition je voulais un nom un peu plus poétique que pour les dernières. J’ai remarqué que je produisais beaucoup en automne ; la plupart des productions accrochées pour cette exposition ont été faites durant cette saison, sur les dernières années. Vu que j’expose en hiver, je trouvais ça chouette de rassembler tous mes “automnes” en un seul “hiver”.

  • On remarque l’influence de ces saisons dans ton travail, peux-tu nous en dire plus ?

Effectivement, dans les tons, on retrouve le côté marron et mordoré de l’automne, des feuilles mortes et des bûches. Il y a un côté terreux qui s’éloigne de mon environnement citadin. Quant à l’hiver, j’utilise plusieurs papiers translucides, avec différentes nuances de blancs, qui me font penser à la neige ou à la glace… encore des éléments naturels ! Et puis, je pense que mes lectures influencent mon travail… 

  • Ah, oui ? Quelles sont tes lectures du moment ?

En ce moment je lis énormément de polars qui se passent principalement en Sápmi (Laponie), dans des forêts en Suède ou en Sibérie. Inconsciemment cela nourrit mon imaginaire au niveau des couleurs. Quand tu penses que certains peuples ont 50 façons de dire le mot “neige” selon la transparence et la consistance etc. Alors que nous, nous en avons seulement quelques-unes…

  • Peux-tu nous parler plus amplement de tes dessins ?

Dans mes dessins on retrouve beaucoup de tissus… qui tiennent chauds ! Je dessine seulement des gros sweats, pulls, écharpes, collants que l’on met quand il fait bien froid. Les vêtements que l’on retrouve dans mes dessins ont tous été portés, ils ont du vécu, une histoire. On me les a donnés la plupart du temps. Je n’achète jamais quelque chose pour le dessiner, on retrouve d’ailleurs les mêmes vêtements dans différents tableaux.

  • Donc, si je comprends bien, tes dessins partent du concret vers l’abstrait ?

C’est ça ! L’idée c’est de partir de quelque chose de très figuratif et narratif, comme des drapés de vêtements, et ensuite d’aller vers l’abstrait. Je glisse quelques petits indices dans mes dessins, on peut distinguer des pompons, une manche… On ne les voit pas forcément au premier coup d’œil.

  • On retrouve une grande diversité de papiers dans tes œuvres, d’où te vient cet amour pour le papier ?

Je dessine depuis toute petite sur tout et n’importe quoi. J’ai une fascination pour le tissu, et le matériau en tant que tel. Le non-tissé par exemple se rapproche plus du tissu que du papier. Selon leur opacité, je peux aussi jouer avec les ombres. Les papiers que j’utilise sont très différents, je fais beaucoup de tests. Par exemple, je peux travailler sur du papier que j’ai trouvé comme ça, travailler sur son envers puis sur du carton mousse, du papier de soie… Je travaille même sur du bois !

  • Maintenant que l’on en sait un peu plus sur le dessin et ton utilisation des papiers, peux-tu nous parler de ces taches qui parsèment tes dessins ?

Les encres et le café sont au cœur de mon travail. J’aime la diversité de leurs couleurs. Je les utilise rarement purs. Je fais mes petites expériences. Les teintes ainsi obtenues sont des mélanges d’encres (industrielles, aquarelles, de chine, dorées), de cafés (solubles ou non), et d’eau.

Dans mon travail, la part de “hasard maîtrisé » se cache dans les taches dont les teintes et les formes dépendent d’un ensemble de paramètres plus ou moins maîtrisables. Par exemple la quantité d’encre et d’eau que je verse, le type de papier utilisé, mais aussi le geste qui est très important. Ensuite je dois attendre la réaction du papier. Pendant plusieurs heures l’aspect de la tâche peut changer jusqu’à ce que le papier absorbe complètement la tache et que le dessin arrête de «bouger». Je travaille aussi aux feutres, à l’acrylique, aux pastels gras, à la plume et au pinceau.

  • On remarque des collages à l’intérieur de tes dessins, de la transparence et aussi du relief, notamment dans tes dessins cloutés.

J’adore superposer, faire des strates, cacher, couvrir, découvrir… Après le collage, la suite logique c’était le relief. Pour cela j’utilise des clous et des épingles. Les épingles me permettent de créer du volume en légèreté. J’aime bien le fait qu’on puisse se positionner différemment dans l’espace et voir le dessin sous différents angles. Le dessin n’est jamais pareil aussi selon l’éclairage, la lumière ou l’heure de la journée : j’aime le jeu des ombres, elles créent des formes non dessinées, un dessin dans le dessin, une énième strate.

L’installation «In Situ» a été réalisé spécifiquement pour cette exposition. J’ai dessiné et découpé toutes les formes en amont dans l’atelier. Et j’ai ensuite assemblé le tout, en redécoupant certaines parties lors de l’accrochage, sans idée prédéfinie. Je voulais une impression de mouvement, et que ce soit très léger. C’est pourquoi il n’y a pas de «pré-dessin» sur le mur et j’ai utilisé des épingles aux têtes repeintes en blanc.

  • Les formats sont très divers dans ton exposition : il y a des notamment des formats suspendus.

Les deux «Suspendus» exposés ont été créés pour cette exposition. Ils rejoignent la même idée de jeu de lumières et d’espace : j’avais envie qu’on puisse tourner autour et les voir de tous les côtés.

  • Quel est ton processus de création ? Sais-tu en avance à quoi va ressembler ton dessin?

Non, je ne sais jamais à quoi va ressembler mon dessin terminé ! Ce qui est sûr c’est qu’il m’est plus dur de composer les dessins pré-encadrés. Je suis plus habituée à faire du “all over” : ça sort de tous les côtés ! Je commence toujours par faire un premier dessin, puis une ou deux taches. Ensuite j’observe ce qui apparaît. Si certaines parties me plaisent je les isole, les recadre,  les découpe. Je mets des bouts de côté qui me serviront pour plus tard, pour un autre dessin, ou pas. Et puis j’y retourne. Je travaille souvent sur plein de formats en même temps… Quand je crée, je ne jette presque rien. Je réutilise les chutes de papiers, les formes non utilisées, j’ai beaucoup de stock !

  • Qu’as-tu prévu pour la suite ? As-tu des projets en cours ou futurs ?

Actuellement je me concentre sur le projet «Papiers de soi», ma fragilité est ma force… C’est un projet de convergence entre artistes, initié par Jean-Marc Paubel, et dont je fais partie avec Marie-France Chevalier et eOle. Il débutera en avril. Sa thématique reprend le sujet de la fragilité abordé cette année par la 16ème biennale d’art contemporain de Lyon. Des temps de partage avec le public sont prévus en novembre 2022 dans l’atelier de Jean-Marc Paubel, à la Scof, Cité d’artistes de Grigny.

 

Rédaction : Fanny Urai

Photographies : Barbara Lerch & Clara Cotelle

 

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