Retour sur l’exposition d’Estelle Apparu, Textures
Estelle Apparu est une artiste mosaïste française exposant au sein de la galerie l’Alcôve du 18 au 28 mars 2021. Nous lui avons posé quelques questions afin de mieux comprendre sa démarche artistique ;
- Bonjour Estelle ! Peux-tu nous exposer ta démarche d’exposition et pourquoi ici à l’Alcôve ?
Beaucoup de gens font de la mosaïque et de manières très différentes, mais on a peu d’occasions d’exposer. Les galeries sont parfois réticentes à l’idée de nous accueillir, il y a une préférence de celles-ci très marquées pour la peinture, la sculpture, et même le street-art. On garde cette image désuète de carrelage au sol, de crédence de cuisine, on a encore du mal à considérer la mosaïque comme de l’art. C’est pour cette raison qu’en 2018 je faisais partie d’une association avec laquelle nous avons monté la première biennale de mosaïque à Lyon : l’ouverture s’est faite avec une exposition de dix jours au Parc de la tête d’or dans l’Orangerie. Nous nous sommes dit que ce serait vraiment un challenge, c’était le public qui se baladait en famille ou avec des amis et qui arrivait un peu là par hasard. Sur les 4000 visiteurs qui ont visité l’expo, on a eu énormément de retours positifs de la part de personnes qui ne connaissaient pas du tout la mosaïque. Ça crée une émulsion, un intérêt. C’est pour ça que je suis ravie d’exposer à l’Alcôve, j’ai beaucoup de retours de collègues qui me disent qu’enfin on voit de la mosaïque dans une galerie !
- Quel a été ton parcours artistique ?
Au départ je n’ai pas du tout fait des études d’art, mais une formation en lettres et langues. Mon premier métier était guide touristique dans des grottes. Cependant, depuis toute petite mon cheminement a été jalonné par la mosaïque ; petite, je collectionnais les pierres et les minéraux. Je les avais mais sans les assembler, c’était vraiment une accumulation. J’ai donc été guide 4 ans, entourée quotidiennement par les stalactites, stalagmites, les calcites… Un univers très minéral qui m’attirait beaucoup. A cette période j’ai visité une exposition de maîtres verriers et au milieu était catapulté un mosaïste. C’était une révélation quand je l’ai rencontré. J’ai voulu me former à ce moment-là en me documentant, mais c’était très difficile car au début des années 2000, il y avait peu de livres, tout le monde était un peu dans son coin sans qu’il existe de collectifs dédiés à cet art. Suite à ça ma mère m’a offert une petite formation dans un magasin d’atelier créatif et j’ai beaucoup aimé. J’ai commencé à faire ça en dilettante, en autodidacte, tout en regardant sur le net alors qu’il n’en était qu’à ses débuts. Quand je suis devenue maman s’est posée la question de la compatibilité de mes nouvelles obligations avec mon métier de guide qui me prenait tous mes weekends et jours fériés. J’ai alors prospecté les formations et eu la chance d’en trouver une avec un meilleur ouvrier de France sur Bourg-en-Bresse pendant deux mois qui m’a formée à toutes les techniques de l’Antique. Marbre, technique à la chaux, technique indirecte… C’était très prenant. Il m’avait confié au début de la formation que si au bout de deux mois on était pas écoeuré, c’est qu’on était fait pour ça, et c’est vraiment à ce moment-là que cet art est vraiment devenu une passion ! Je me suis formée ensuite aux techniques contemporaines car je m’intéresse énormément à l’art abstrait : d’abord avec une maître française, un brésilien et enfin un japonais. J’ai choisi ces trois personnes pour leur parcours atypique et leur vision particulière de la mosaïque.
- Comment se passe le processus de création ?
Une idée peut surgir, c’est ce que j’appelle une “idée créative”. Je vois l’œuvre finie dans ma tête, même si je ne m’enferme en rien, je m’affranchis de toutes les règles de la mosaïque. ça peut être une pièce, comme cette écorce, qui va déterminer l’ensemble du tableau.
Sentier, 2018, 70x70cm
Je lui ai longuement tourné autour avant de la voir dans un tableau car je savais ce que j’allais l’utiliser mais je ne savais pas encore comment. C’est venu un jour tout naturellement, les choses se mettent en place petit à petit dans ma tête et pop, c’est comme une évidence et ça vient. Par exemple, l’opus destructuré (voir ci-dessous) a été développé à tâtons, en fonction de mon cheminement ; c’est un peu comme une écriture, on apprend tous à écrire de la même manière mais au final on développe tout une écriture différente. On apprend tous à tailler les tesselles en cube, puis on apprend à se dire qu’elle n’est pas forcément cubique. Elle peut être ramassée par terre, ce qui est considéré par quelqu’un comme une chute ou un rebut peut devenir une vraie tesselle à part entière. J’ai choisi cet art pour des questions de sensibilité, d’attirance innée envers les minéraux. Des petites tesselles qui jalonnent mon parcours et, mis bout à bout, présentent la mosaïque comme une évidence.
Opus destructuré : De gauche à droite : Stellina, 2020, 25x25cm / Soleil Noir, 2018, D60 / Cratère, 2019, 50x50cm
- Qu’est-ce qu’on trouve dans ton atelier ?
Mon atelier est situé 20 rue Terraille, dans le premier arrondissement ; C’est la caverne d’Ali Baba, tout et rien à la fois… Il y a beaucoup de marbres, de minéraux, de pâtes de verre, de la poussière, des araignées… Je garde toutes les chutes de tableaux, ce désordre m’inspire beaucoup. Je préfère le trop-plein que le trop-vide.
- Quels sont tes prochains projets ?
J’aime voyager de partout, sans pays particulier. Ça peut être l’Asie, l’Afrique, le continent américain… Mon retour aux sources ce serait vraiment l’Afrique centrale où la mosaïque est encore très peu connue. J’aimerais aussi beaucoup exposer le plus possible ; je crée, je crée, je crée mais il y a un point où on ne peut plus stocker. Je tends également de plus en plus vers la sculpture. Je voulais faire toute une série de lune et d’oursins. Les lunes seraient allées avec le soleil noir mais il faut encore que je trouve un moyen d’alléger mes supports qui sont encore trop lourds. Appréhender les formes concaves, convexes.. Cela m’attire énormément.
Coelopleurus Exquisitus, 2016, D60
Soleil Noir, 2018, D60
- Que recommandes-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer ?
Il ne faut pas hésiter à aller à la rencontre des personnes, il y a de tous les styles. Ne pas hésiter à faire des stages pour trouver ton propre cheminement, tâtonner, essayer. Se faire plaisir. C’est un bonheur et une richesse d’échanger avec les gens, de leur offrir du rêve. J’ai vu des personnes pleurer devant mes tableaux. Je prends autant que je donne, c’est une démarche qui doit guider un artiste. De plus, ne pas avoir de bagage historique conséquent n’est pas un frein car beaucoup de mosaïstes ne sont pas attirés par l’art antique. Il faut juste être passionné, curieux et motivé.
- Quand as-tu eu l’idée de faire des bijoux et pourquoi ?
C’est le public qui m’a poussé à le faire. Pas mal de personnes aiment les tableaux, mais ce n’est pas accessible à tous autant pour des raisons de coûts que d’espace. J’ai donc commencé à faire des bijoux en les envisageant comme des mini-tableaux. Chaque bijou est une petite œuvre d’art, en modèle unique. Je ne veux pas que deux personnes puissent porter la même chose, cela ne m’intéresse pas.
- Un mot de la fin pour conclure ?
J’aimerais sincèrement que les consciences puissent s’éveiller, et qu’elles reconnaissent enfin la mosaïque comme un art à part entière au même titre que la peinture, la sculpture, la photo mais aussi plus récemment et fort heureusement le street art. Mais l’art de la mosaïque possède un atout majeur : l’énergie qui émane des pierres que l’on taille transparaît toujours même après des millénaires.
Tous mes remerciements à Estelle Apparu pour avoir accepté de répondre à mes questions, ainsi que pour son enthousiasme et sa sympathie.
Rédaction et photographies : Ambre Joulie / @raphaell_de_lyon